• Compte-rendu de Jean Hervé Duchesne

    Suite à l'article incomplet paru dans Running n°53, Jean Hervé nous a envoyé ce courrier :

    "Bonjour à tous

    Personnellement, je trouve que l'article est pas super (j'ai le droit de critiquer, eh, c'est moi qui l'ai écrit), car je ne voulais par rédiger un article technique mais un article émotion. Sur les 5 pages, Running Attitude a retenu la seulement la dernière. Je comprends leur contrainte, mais bon, j'aurais tellement voulu susciter des vocations, au même titre que c'est un article dans VO2 qui a été à l'origine de mon inscription

    Mais comme c'est vous, voilà ce que cela aurait pu donner (et y'avait aussi tout plein de photos de Pascal David qui n'ont visiblement pas retenu l'attention de Running Attitude)

    "
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    *Reçu 24 sur 24 !*
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    Parmi les nombreux temps forts de cette année d’ultra-endurance, un événement ressort particulièrement : le 3 septembre 2005, sur les plages de la Méditerranée, 100% des participants viennent à bout de la Transe Gaule.

    Un cas quasi unique sur les courses longues. Retour sur une course qui, au-delà d’une performance individuelle, restera un moment fort, partagé entre 24 coureurs venus de 5 continents.

    Au petit matin, quelque part en France
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    5h20, dans un gymnase, quelque part en France. Une main accroche de la lumière à quelques néons. On se souvient à peine du village où l’on se trouve, on ignore où l’on sera le soir. Peu importe, la première préoccupation avant même de quitter le duvet : les douleurs de la veille sont-elles toujours là ce matin ? Puis-je bouger les jambes ? pourrais-je au moins marcher ? Il vaudrait mieux ! Aujourd’hui, selon les coureurs, il y a entre 6 et 11 heures à passer sur le bitume.

    Les coureurs s’ébrouent, quittent leur duvet, commencent à plier leurs affaires. Dans un peu plus d’une heure, il faudra repartir. Déjà la course contre la montre qui reprend ses droits. Se dépêcher de se préparer, arriver avant les délais éliminatoires, se dépêcher de récupérer. Une spirale sans fin.

    « Guten Tag Sigrid », « Hello Don » « Alligato Hiroko », on ne se connaît que depuis quelques jours, mais déjà les habitudes sont prises.

    Une planche sur quelques tréteaux. Un réchaud à gaz, quelques bouilloires dans un enchevêtrement de fils électriques. J’aime ce moment intime partagé souvent avec Patrick, Christophe, Alain, Jacquemine …. Le petit déjeuner n’a rien de diététique. Du pain, du beurre, du café, des Bolino. L’allure de course est si faible, pas besoin d’avoir digéré pour prendre le départ. Et puis, sinon cela obligerait à déjeuner à 3 heures du mat ! La nuit et les temps de récupération sont déjà si courts.

    6h30 : Le gymnase est vide. Les sacs rejoignent les camions d’assistance. Certains s’étirent. Quelques derniers soins. Un peu de vaseline. Tiens, l’ampoule semble propre. Mince, la tendinite est encore là. Enfin la cheville est moins enflée. Premières sensations de la journée. Ca va être dur ou ça va aller mieux ?

    On s’entasse dans un camion, qui nous emporte vers la ligne de départ. Debout, serrés, ballottés dans les virages, c’est pourtant un moment fort. Nous sommes ensemble. Cette proximité, cette intimité rassure. Ensemble pour le départ, ensemble pour l’étape. Depuis quelques jours a dépassé la dimension individuelle. L’enjeu n’est plus seulement d’arriver à Gruissan, il est d’arriver au complet, à 24 coureurs.

    6h50 : ligne de départ. Le départ est donné à l’exact endroit de la ligne d’arrivée la veille. J’adore cette idée de continuité dans la course, de devoir franchir en courant chaque mètre séparant la Manche de la Méditerranée.

    A part les coureurs et les accompagnateurs, nous sommes seuls. Dans un complet anonymat. Parfois, un journaliste local prend quelques photos.

    Nous nous regroupons autour de Jean-Benoît Jaouen, l’organisateur. Un court briefing, sur le parcours, le dénivelé, les ravitaillements, le délai éliminatoire, … Rapide traduction de Russel, Anglais émigré au Texas, et qui souffre depuis deux jours d’énormes inflammations aux jambiers antérieurs.

    J’écoute en règle générale à peine le briefing. Le premier jour, sur le port de Roscoff, j’avais encouragé et serré la main de chaque coureur. Roscoff est à présent 600 kilomètres derrière nous, mais l’habitude est prise. C’est même devenu l’un de mes gestes fétiches. Je n’envisage plus de prendre le départ de l’étape sans ce rituel.

    Des silhouettes hésitantes
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    Le drapeau s’abaisse. C’est reparti. Quelques portions de marche pour chauffer les membres. Où sont les douleurs ? Quelles sont les améliorations par rapport à hier ? Devant, les coureurs les plus rapides, ceux que je ne reverrai que le soir, prennent le large. Trond et Bernard sont déjà ensemble. Ils se battent pour la 2ème place et ne se lâchent pas d’une semelle. Sebastiaõ est parti plus prudemment. Multiple champion de 24h (record à 232 km) au Brésil, il a attaqué la Transe Gaule plein de certitudes, attaquant sans relâche lors des trois premières étapes, inaccessible le soir, enfermé dans sa concentration. Et puis il n’a pas tenu la distance, il s’est épuisé, il s’est blessé. Il a commencé à rétrograder au classement général. Et un soir, en pleurs, il s’est excusé de son comportement. Combien d’entre nous ont ainsi réussi, grâce à cette course, à se remettre en question ?

    Le petit peloton de disloque vite. De derrière, j’observe mes amis. Pauvres pantins, démarches brinquebalantes. Dans les prémices du jour naissant, nous sommes loin de donner une image positive de la course à pied.

    Et puis, c’est le miracle qui se renouvelle de matins en matins. Les membres s’assouplissent, les articulations retrouvent une certaine souplesse, les douleurs s’estompent, ou s’atténuent, au fil des kilomètres. J’ignore encore comment cela peut se produire. Des coureurs avec des chevilles enflées, plus épaisses que le genou, se mettent à courir, effaçant leur douleur derrière on ne sait quelles réflexions. Ces coureurs, dont la veille au soir, certains peinaient à marcher, repartent pour couvrir leurs 65 kilomètres quotidiens.

    Chacun court à son rythme. Parfois, il est possible de rester une dizaine de kilomètres sans pouvoir rattraper le coureur devant, si près et à la fois si loin. De toute façon, il devient risqué de forcer. Les douleurs, voire les blessures rappellent vite à l’ordre.

    Les premiers coureurs sont déjà hors de vue. Entre Janne qui galope à 12 km/h et Sigrid ou moi avec nos 7 km/h, les écarts se creusent vite. Devant, j’observe les positions. Daniel part prudemment et a recours fréquemment à quelques foulées de marche. Il accélérera par la suite. Mattias a l’air d’aller mieux, Jean-Pierre et Fabrice boitent et serrent les dents, Alain et Christophe font course commune, Eric conserve sa foulée souple qui pourrait l’emmener jusqu’au bout du monde. Il n’en demande pas tant. Sa seule pensée est de rallier l’étape ce soir, et puis Gruissan dans quelques jours.

    Derrière, j’entends frotter la canne de Patrick sur le bitume. Un passant, pris de sollicitude, la lui a donnée, lorsque Patrick, au sortir de la Bretagne ne pouvait même plus marcher. Bientôt, comme chaque jour, il me dépassera. Je serai alors seul pour le reste de la journée, à l’avant dernière place. Sigrid derrière est notre serre-file.

    Sigrid est une femme stupéfiante : à 64 ans, elle court et marche en boitant, au rythme très régulier de 6 km/h. Elle a terminé la Badwater il y a un mois. Et après la Transe Gaule, elle prendra part une semaine plus tard à la Deutschlandlauf (traversée de l’Allemagne de 1200 kilomètres). Elle y sera éliminée suite à une arrivée trop tardive. Elle mettra cependant un point d’honneur à terminer la course hors classement malgré tout.

    Tant que Sigrid est derrière, c’est bon signe, il n’y a pas de risque d’élimination. Ca n’a pas été toujours le cas. Etape 7, je suis passé à dix minutes de la barrière horaire éliminatoire à l’arrivée. Planté sur le bitume avec une tendinite à chaque releveur du jambier. Neuf heures de marche forcée. Douleur à chaque pas. Une sale journée. Vraiment. Ne plus y penser. Seulement apprécier la chance de pouvoir à nouveau courir. Seulement s’émerveiller de voir son corps repartir le matin, et guérir malgré les kilomètres.

    Des paysages inexplorés
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    Et le bitume défile. Après quelques étapes initiales délicates, et hormis les blessures, les organismes se sont à présent habitués à l’effort. Nous avons perdu quelques kilos, nos capacités foncières sont développées, nos besoins en ravitaillement se sont affinés.

    Peu à peu, la nécessité de recourir à la marche se fait moindre, le corps s’est habitué à courir longtemps. Des pensées surprenantes surgissent « Allez il reste juste un semi marathon », « Dans 3 heures on en aura fini ».

    Ne reste plus qu’à profiter des paysages : le franchissement de la Loire dans la brume matinale, les vignes des coteaux du Layon, une journée dans les brumes limousines, une montée franche dans la pinède vers le plateau de Millevaches, un magnifique lever de soleil derrière le Puy de Dôme, les centaines de cloches accrochées au cou des vaches en approchant de Salers, le chemin de crêtes au sommet du Cantal, une descente interminable vers les gorges du Tarn, …

    Alors bien sûr, parfois, au milieu de paysages que même les cartes postales n’ont jamais déflorés, la douleur, la fatigue ou la lassitude apparaissent. Chacun développe alors ses propres mécanismes mentaux pour continuer à avancer. Jan passe le temps en écoutant de la musique, Patrick compte ses pas, Fabrice se fixe un délai pour atteindre l’église du prochain village, Mattias imagine que c’est l’arrivée qui vient à lui.

    Surtout, ne penser qu’à l’étape en cours, Surtout ne pas penser à la distance globale restant à parcourir. Autant nos corps sont prêts pour franchir la distance. Autant nos esprits l’appréhendent mal. Difficile de se convaincre, dans un moment difficile, que l’arrivée est proche, alors qu’il reste encore 500 kilomètres à parcourir à la force de jambes bien fatiguées.

    Et puis au fil des étapes, un nouvel élément de motivation apparaît. Arriver tous les 24. A partir de la mi-course, dans un village au nom évocateur de Saint-Sulpice les feuilles, l’idée de finir au complet a pris corps. La course, notre course a commencé à ne plus nous appartenir. Un nouvel objectif s’est immiscé dans les esprits. Arriver tous les 24. Etre tous ensemble sur la photo à Gruissan. Dès lors, nous n’avions individuellement plus le droit d’abandonner. Pour le groupe, autant que pour nous, il fallait arriver à Gruissan ensemble.

    Et nous l’avons fait. Et symboliquement, la majeure partie des coureurs s’est regoupée deux kilomètres avant la banderole finale sur la plage de Gruissan, afin de terminer cette course comme elle avait commencée. Tous ensemble."


    Et voilà, à présent, j'ai du mal à me remotiver pour la course à pied. J'aime toujours beaucoup courir, je prends du plaisir en courant, mais je n'éprouve plus ce besoin de courir tous les jours, et j'ai du mal à me remotiver pour une quelconque épreuve.

    Amitiés à tous
    Jean-Hervé"

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